Histoires de naissances
Je suis née par césarienne. Après 20 h d'un travail laborieux, douloureux et inefficace, les médecins ont décidé de trancher le ventre de ma mère pour en extraire, en priorité, mon frère jumeau, en pleine souffrance foetale.
De ma naissance je connais peu de détails, si ce n'est cette longue attente éprouvante et inutile, l'anesthésie générale en urgence, l'extraction de mon frère mal engagé. Puis moi. 3,5 kilos tout en blondeur de poussin.
Inconsciemment, cette naissance m'a sans doute marquée de son sceau.
Enceinte de ma fille aînée, pour moi c'était quasiment évident que j'allais aussi accoucher par césarienne. Pourtant aucun signe ne le laissait penser : bébé de petit poids, bien positionné dès 6 mois de grossesse, bassin correct, ni hypertension, ni diabète. Mais dans ma tête le schéma était en quelque sorte figé à ma naissance.
Et puis psychologiquement parlant, les évènements qui avaient conditionné ma grossesse ne plaidaient pas en faveur d'un accouchement facile : conception difficile et médicalisée, perte d'un jumeau, décollement du placenta, alitement complet dès 3 mois de grossesse. Peut-être pas si étrangement que ça je me disais "au point où j'en suis, je suis certaine que je vais avoir un accouchement pourri".
Mais la Vie n'a pas été si vache avec moi. Elle n'a pas poussé le vice jusqu'à médicaliser la naissance de ma fille, comme elle l'avait fait pour sa conception et sa gestation.
Elle est née en 3 heures. Pas une minute de plus. Deux poussées, mes mains qui viennent la chercher, la soulèvent et la posent victorieusement sur mon sein.
J'ai littéralement été soufflée par cet accouchement. Il n'allait pas au-delà de mes rêves, puisque rêves il n'y avait pas eu. C'était juste un formidable cadeau qu'on me faisait sans que je m'y attende. Une réconciliation avec les évènements difficiles de ma grossesse, avec mon corps, avec ma capacité à enfanter.
Deux ans et demi plus tard, après avoir labouré mon coeur et ma chair à trois reprises, me reprenant sans pitié ce qu'elle m'avait donné, la Vie a finalement décidé de me refaire le même cadeau.
Ma deuxième fille est née en une demi-heure de contractions et pas une seule poussée. Un boulet de canon. Aussi surprenant que cette grêle qui s'est mise à tomber, grosse comme des billes, en plein mois de juin.
Je suis bien en peine de décrire les émotions qui ont envahi ma tête, mon coeur et mon corps à ce moment là. De l'amour évidemment, de la gratitude, une joie immense et ce sentiment de toute-puissance que je n'avais jamais connu auparavant.
Cette naissance a achevé la réconciliation que je devais faire avec moi-même. Elle a fait mieux : elle m'a apporté en cadeau la confiance, la sérénité et l'espérance, trois sentiments qui n'avaient jamais habité mon être, et qui ne devaient plus me quitter.
Mais je suis tout de même restée perplexe quant au décalage qui existait entre ma naissance, et celles de mes filles. Oh je sais bien, chaque accouchement, chaque mère, chaque bébé est différent. L'histoire se réécrit et ne se répète pas. J'aurais du me contenter de ça. Mais c'est comme s'il me manquait une pièce du puzzle, ces naissances ne s'imbriquaient pas les unes dans les autres. Ma curiosité et ma soif de compréhension n'étaient pas tout à fait satisfaites.
Jusqu'au jour où ma mère m'a parlé de sa propre naissance.
Prise de fortes contractions, ma grand-mère, enceinte de son deuxième enfant, appela mon grand-père et décidade prendre sa petite valise pour rejoindre la maternité par le train. Un ami la croisa en chemin, et voyant son état, il l'embarqua en voiture, pensant que le train n'arriverait pas à temps, et qu'elle risquait d'accoucher sur le quai ! Grand bien lui en a pris, car quand le train siffla son arrivée dans la gare (juste à côté de la maternité), ma maman était nichée dans le creux des bras de sa mère. Elle venait de naître.
Ca peut sembler n'être rien, mais quand j'ai entendu ce récit, mon visage s'est illuminé. Je tenais la pièce manquante du puzzle. Ca y est. Les naissances de mes filles s'inscrivaient dans l'histoire familiale.
Je "sais" maintenant pourquoi j'accouche si vite. Je me suis libérée de ma propre naissance.
Et peu importe si, médicalement parlant, ces conclusions ne revêtent strictement aucune valeur scientifique. La boucle est bouclée.