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Hospitalisée à la demande d'un tiers

par La journaliste IT pink & green

publié dans Frappée par...

http://imageshack.us/a/img193/939/capturepleincran0410201.jpg

 

Il y a un peu plus deux ans, j'ai été hospitalisée à la demande d'un tiers. A la demande de l'homme qui partage ma vie, le père de mon fils. C'est sans doute le plus beau cadeau qu'il m'ait fait.

 

Je n'ai pas tellement envie de rentrer dans les détails du pourquoi et du comment, ce serait trop long à raconter. Disons que je sortais d'une énorme période (ma vie en fait, pour faire simple) de dépressions, d'angoisses de doutes, de peurs, d'insomnies. Une énorme période de shootage intensif aux anti-dépresseurs, anxiolytiques et autres drogues du sommeil. Une période d'épreuves, de deuils pas faits et de ruptures aussi, fausses couches, divorce, grossesse extra-utérine. Une période où je me suis totalement perdue.

 

Je crois que toutes ces épreuves, tous ces vagabondages, tous ces malheurs, je les ai soigneusement gardées dans mon coeur et dans mon corps   jusqu'à ce que... ça craque. Comme un barrage. Et là, ouchhh ! Le dawa. Le pétage de plomb. Le feu d'artifice.

 

J'ai touché le fond de la piscine. Et là j'avais un choix : je me noie. Ou je donne le coup de pied salvateur.

 

On m'a donc hospitalisée six jours. Le temps que Dieu a mis pour fabriquer l'univers. C'est drôle, je viens de m'en rendre compte.

 

Me réveiller à l'HP, après 24 h passées à dormir, complètement droguée, ficelée sur un lit, dans une chambre à barreaux, c'était... Terrible. Pas à cause de l'hôpital. Mais parce qu'à mon réveil j'étais persuadée d'avoir tout perdu : mon homme, mes filles, ma maison, ma vie. J'étais dévastée. Détruite. Vide. Désespérée.

 

J'ai eu un premier choc quand mon amoureux est venu me voir. Je le revois, avec sa béquille et son plâtre (il s'était cassé la jambe quelques temps avant). Je n'en croyais pas mes yeux. Je ne pouvais pas parler, parce que l'émotion me débordait et surtout parce que j'étais complètement droguée à l'Haldol (un puissant neuroleptique, une vraie saloperie). Ma bouche ne répondait pas, elle était comme anesthésiée. J'ai juste pleuré, beaucoup pleuré dans ses bras. J'étais si heureuse, si soulagée, si reconnaissante qu'il soit toujours là !

 

Mais je devais rester à l'hôpital, j'étais trop instable, trop perdue, presque dangereuse pour moi-même et pour les miens.

 

J'ai erré. Beaucoup. Au milieu de patients parfois très atteints. Très shootés aussi. On m'a même dit qu'il y avait dans le pavillon des patients sérieusement dangereux, potentiellement criminels, mais qui étaient tellement drogués qu'ils n'avaient même pas la force de soulever leur cuillère pour manger leur soupe, on devait les nourrir. 

 

Je passais de ma chambre au couloir, de la salle de repos à la salle télé, où Zaz passait en boucle avec sa chanson "Je veux". Je ne peux plus entendre cette chanson sans penser à l'HP. Même chose pour Plus belle la Vie que les patients regardaient religieusement tous les soirs.

 

Je croisais des ombres d'humains. J'étais devenue une ombre d'humain moi aussi. Je marchais lentement, en me tenant aux murs. Je vacillais, quand je tournais la tête j'avais l'impression que tout tournait avec elle. Je ne pouvais toujours pas parlé correctement. J'avais froid, j'avais peur, j'étais perdue, je ne savais pas ce que j'allais devenir, je ne savais pas quand et dans quelles conditions on me laisserait rentrer chez moi.

 

Peu à peu, on a diminué mon traitement. Je me sentais plus solide sur mes jambes et je pouvais enfin articuler une phrase sans avoir l'impression que mes lèvres, ma langue et mes joues étaient anesthésiées.

 

Je discutais avec certains patients. Enfin, quand ils le pouvaient. Quand ils en étaient capables. Pour certains c'était jamais.

 

Il y avait cette femme qui devait avoir mon âge et qui mesurait au moins vingt centimètres de plus que moi. Elle avait le visage ravagé, rouge, les lèvres gercées, il lui manquait des dents et elle s'était coupée les cheveux toute seule. Elle avait les bras complètement scarifiés. Ca l'aidait "à sentir qu'elle vit" me disait-elle. Elle me racontait sa fille de quatre ans, qu'on lui avait retirée, et sa mère qui ne l'aimait pas. 

 

La nuit elle hurlait. Elle pleurait. Elle poussait des gémissements qui me fendaient l'âme en deux, parce qu'on aurait dit un enfant qui hurle dans le noir sa peur, ses cauchemars, sa solitude. Une géante complètement brisée qui pleure comme un enfant.

 

Il y avait cet homme aussi, hospitalisé à la demande de ses parents, parce qu'il s'était mis à tout casser chez lui. Il était atrocement drogué le pauvre... Dans ces quarts d'heure de (presque) lucidité, il était charmant et intelligent. Puis venait l'heure des cachets et quelques minutes après je le croisais errant, les bas ballants, les yeux mis clos, la bave aux lèvres. Il me tendait son portable en articulant avec peine "tu peux le garder s'il te plait ? je dois aller me changer, je me suis fais caca dessus, je retiens rien avec leurs fichus médocs". Un pantin désarticulé. C'était affreusement triste, j'en ai encore une boule dans la gorge quand j'y repense.

 

Il y avait aussi cette jeune fille brune aux cheveux bouclés, les poignets couverts de bandages, qui fumait cigarette sur cigarette en pestant contre les médecins qui avaient "réussi à la réanimer" et lui avait fait subir "encore un lavage d'estomac". Elle s'était gavée de médicaments et s'était ouvert les veines. Mais elle avait encore raté son coup. Elle voulait rentrer chez elle pour recommencer. Un fantôme à la recherche du sommeil éternel. 

 

Et puis il y avait ce jeune que je croise encore aujourd'hui en ville, et qui disait qu'il adorait l'HP parce que "on y mange bien et en hiver il fait chaud". Dès qu'il rentrait chez lui, un peu poussé vers la sortie par les psychiatres qui avaient compris son manège, il faisait des bêtises pour rentrer au bercail au plus vite. Un joyeux maboul complètement psychotique.

 

Misère humaine, misère mienne...

 

J'ai déambulé pendant quelques jours dans les couloirs. Les heures se traînaient comme des journées entières. Mon désespoir, ma solitude, ma tristesse n'ont duré que cinq jours en réalité. Mais ça m'a semblé être des siècles.

 

J'ai aussi cessé de manger de la viande. Je ne pouvais plus. Je ne pouvais plus faire ça à la Vie. En vérité, c'est à l'hôpital psychiatrique que j'ai refusé pour la première fois un morceau de viande.

 

Je sortais régulièrement voir le seul arbre qui ornait la pelouse devant le pavillon où j'étais internée. Je pensais que je devais me réconcilier avec quelque chose, avec quelqu'un. Cet arbre était devenu mon ami. Je lui caressais les feuilles, j'avais l'impression de faire la paix avec je ne sais quoi. Il m'apaisait. Il me transmettait de la vie, de l'envie. Un jour j'ai même ramassé tous les mégots jetés par terre, dans l'herbe autour de lui. J'avais l'impression d'expier quelque chose. 

 

 

Je crois que je suis morte là-bas. J'y suis forcément morte, puisque c'est là-bas que j'ai ressucité. Et il faut mourir pour ressuciter, n'est-ce pas ?

 

Tout ce que je décris peut paraître terrifiant, épouvantable. Pourtant (et je pèse mes mots) c'est l'expérience la plus salutaire que j'ai vécue en 35 ans.

 

 

Un jour, enfin, j'ai été foudroyée par une pensée, une certitude même : je savais que ça allait arriver. Je me le rappelais seulement à ce moment là, mais je savais que je vivrais une expérience très éprouvante. C'était soudain d'une clarté évidente.

 

Je le savais parce qu'on m'avait prévenue.

 

Quelques jours avant de sombrer et d'être hospitalisée, j'ai fait un rêve (plusieurs rêves même) qui n'étaient pas que des rêves. Il (c'était un homme) m'a parlé de beaucoup de choses, énormément de choses. Il m'en a également montrées, mon passé, mon présent, l'état de mon coeur, ce qui m'attendait, mon fils. Je pourrais écrire des pages et des pages sur tout ce que j'ai vu, entendu, senti, tellement ce fut riche.

 

Il m'a aussi parlé de Son amour pour moi, "inconditionnel" comme Il dit. Et il m'a détaillé les épreuves qui m'attendaient. Il m'a dit que dans quelques jours, je me retrouverais dans un endroit froid, dur, que je serais seule, que je me sentirais abandonnée, que j'aurais l'impression que ma vie ne valait plus la peine d'être vécue. "A ce moment là, quand tu seras au plus profond de ta solitude et de ton désespoir, au pire moment, souviens toi que je t'aime et que JE SUIS avec toi".

 

Il m'a même fait promettre de m'en rappeler. Il a insisté très fortement. J'ai promis, mais presque en riant, tellement ça me paraissait surréaliste, tellement ça me semblait éloigné de tout ce qu'il m'avait montré de merveilleux !

 

Mais j'avais oublié. Durant cinq jours j'ai oublié ma promesse.

 

Et je m'en rappelais là, en sortant de la douche, alors que je m'apprêtais à me traîner jusqu'à "mon" arbre. Et Il était bien là, présent, chaud, éternel.

 

Je ne peux pas décrire ce que j'ai ressenti, les mots ne traduiraient pas ma joie, mon soulagement, mon envie d'exploser de rire, de danser. Ce sentiment de libération et d'explosion que j'ai ressenti dans mon âme, aucun terme ne peut les décrire.

 

J'ai ressucité d'entre les morts. Je me suis (r)éveillée à la Vie. C'est vraiment les seuls mots qui me viennent à l'esprit. 

 

Je me sentais un peu peunaude aussi. Parce que j'avais promis de m'en souvenir, mais j'avais quand même mis quelques jours à m'en rappeler. Un peu comme St Pierre qui a trahi Jésus trois fois avant de se rappeler la promesse faite au Christ.

 

Enorme quand même. 

 

Je suis littéralement sortie de la léthargie qui m'habitait depuis quelques jours. J'ai remercié l'arbre. Et j'ai saoulé les soignants pour que la psy vienne au plus vite me libérer. Il fallait que je lui parle. Il fallait que je lui dise que j'étais guérie, que j'étais lucide, que j'allais bien, très bien même, que je ne m'étais jamais portée aussi bien, et c'est dans un asile psychiatrique que je trouvais l'état de grâce que je cherchais depuis ma naissance ! Ca évidemment je ne le lui ai pas dit, elle m'aurait prise pour une illuminée, et en réalité elle aurait eu raison. J'avais la Lumière en moi. 

 

Elle a immédiatement compris que j'étais apte à sortir. Là, tout de suite. Juste le temps de vérifier si quelqu'un est à la maison pour m'accueillir, signer les papiers, préparer une ordonnance, appeler l'ambulance pour me raccompagner et partir. Partir enfin. Partir riche de mes six jours.

 

Quelques jours après, j'ai rencontré une  une personne extraordinaire. Et j'ai arrêté les médicaments. Les  cachets qui cachent et ne guérissent rien. Comme ça. Du jour au lendemain. Alors que j'étais en traitement quasiment permanent depuis une quinzaine d'années et qu'on m'avait bien répété qu'il ne fallait pas les arrêter brusquement, surtout pas l'haldol.

 

Je n'ai eu AUCUN symptôme de sevrage. Mais ça aussi je le savais. 

 

Un mois et demi après, je suis tombée enceinte du Petit Roi. Et ça encore, je le savais.

 

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P
Moi aussi cela m'est arrivé. Mais jamais à la demande d'un tiers, toujours en hospitalisation libre. Je garde une profonde colère contre la psychiatrie et la façon dont on shoote et traite les gens en souffrance en France. Tout est à repenser selon moi. tout est à inventer. Et tout comme toi je parle sans problème de ces séjours. Malgré mes enfants, mon poste de cadre et a vie bien rangée actuellement
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T
<br /> Bah, il y a tant de choses qui échappent à la grande majorité, normal que je te rassure sur ce point. Signé : Ragondin Fumant ;-)<br />
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L
<br /> <br /> Merci, ça fait chaud au coeur de lire ça parce que tu as raison, beaucoup de choses échappent à la majorité. Alors quand tu croises des personnes qui sont sur la même longueur d'onde, c'est un<br /> vrai bonheur. <br /> <br /> <br /> Mais... on s'est déjà croisés non ??? Sur FB ??<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> "Je ne peux pas décrire ce que j'ai ressenti, les<br /> mots ne traduiraient pas ma joie, mon soulagement, mon envie d'exploser de rire, de danser. Ce sentiment de libération et d'explosion que j'ai ressenti dans mon âme, aucun terme ne peut les<br /> décrire".<br /> <br /> <br /> Pas besoin de mettre des mots, celui qui a la foi<br /> sait. Cet amour immense, au-delà de tout. Cette certitude. Cette présente. Ce tout-puissant bonheur. <br /> <br /> <br /> Merci pour ce billet magnifique, qui me fait un peu<br /> moins redouter cette maladie odieuse qu'est la dépression.<br />
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L
<br /> <br /> Cette certitude : exactement ça ! On "sait" et plus rien n'est comme avant. On passe dans une autre dimension.<br /> <br /> <br /> Merci pour ton commentaire et bonne route à toi !<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Je me lance. Je te lis mais ne commente jamais. Mais ce post , comme pour beaucoup d'autres me bouscule . Car je suis sur le point de sauter le pas et de les prendre ces fichus médocs, qui<br /> pourtant semblent briser des âmes et ont fallit tuer une bonne dizaine de fois une personne proche de moi. Mais rien d'autre, aucun autre espoir n'apparait devant moi que ces cachets. Mais<br /> maintenant je te lis ... et j'hésite ... <br /> <br /> <br />  <br />
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L
<br /> <br /> Tu sais, les médicaments m'ont aidée quand même quand j'allais très mal. Disons que c'était "moins pire" que de ne rien avoir du tout, ni médocs, ni vraie thérapie.<br /> <br /> <br /> Mais les médicaments ne nous guérissent pas de la dépression ni des angoisses. Ils se contentent de les endormir pendant un temps, mais ils restent là, tapis dans l'ombre, mettant parfois des<br /> années à ressurgir. Ce qu'il faut faire surtout, c'est d'entamer une vraie thérapie avec un vrai bon médecin. C'est pas évident à trouver, mais il y en a. Moi c'est ça qui m'a guérie. Aller au<br /> fond de moi et regarder en face mes blessures pour les extraire. Allez au fond de moi et découvrir qui je suis, à quel point je suis forte et lumineuse. C'est un gros travail.<br /> <br /> <br /> Les médicaments peuvent t'aider à passer un cap, mais il ne faut jamais oublier que c'est juste une béquille. La vraie guérison, il faut aller la chercher. Mais tu vois, c'est possible.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je te souhaite plein de courage, n'hésite pas si tu as des questions ou envie de partager. <br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Intensité, courage, humilité, sincérité : tout est réuni pour faire un texte très fort. Respect.<br />
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L
<br /> <br /> Merci beaucoup et à bientôt j'espère.<br /> <br /> <br /> <br />