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Quand j'étais petite

par La journaliste IT pink & green

Quand j'étais petite

Je passais mon temps fourrée dans les livres. Toujours perchée sur un bout de canapé, un coin de lit ou un transat avec un bouquin qui sentait le vieux papier déniché à Emmaüs lors d'une virée dominicale en famille. Emmaüs, le Furet du Nord, les collections abandonnées des presbytères sur les pavés des braderies du Nord, c'était les principales sources d'alimentation des bibliothèques qui tapissaient le moindre recoin de notre appartement, jusqu'au plafond et jusqu'aux toilettes.

Quand j'étais petite j'adorais apprendre mais je n'aimais pas la société des autres enfants. Leur présence m'incommodait souvent, elle me faisait peur, je rentrais dans ma coquille, me contentant de l'amitié fidèle d'une copine et de l'inaltérable lien qui existait alors entre mon frère jumeau et moi.

Quand j'étais petite, j'aimais ma mère d'un amour assoiffé, inconditionnel et presque douloureux tant son absence était difficile à vivre à chaque fois qu'elle nous déposait à l'école. J'avais hâte de la revoir, j'avais hâte de retrouver mes parents.

Je me rappelle de cette journée grise de CE1 où la douleur de l'absence était trop dure. Ca n'était que pour quelques heures mais il y avait des journées comme ça, où c'était trop insupportable à vivre. J'avais demandé à aller aux toilettes, et je suis restée une demi-heure, une heure peut-être, accrochée à la rambarde des escaliers, hésitant entre le troisième et le deuxième étage, me demandant si je devais dévaler les deux étages et demi qui me restaient et ensuite courir, grimper là-bas derrière dans le lierre et les barreaux, franchir le parc, courir encore pour avaler les deux kilomètres qui me séparaient d'elle. J'imaginais la peur de ma maîtresse en découvrant ma fuite, le coup de fil à ma mère, l'angoisse, les reproches, l'incompréhension. Ca n'est que pour l'après-midi, qu'est-ce qui t'a pris ? On était fous d'inquiétude, ne refais plus jamais ça. Je me repassais tous les films possibles, toujours suspendue à ma rambarde, pleurant toutes les larmes de mon corps, implorant ma mère, maudissant mon âge si traître qui ne me permettait plus de rester dans ses jupons. Je suis remontée finalement, oui je me suis dégonflée, je n'ai voulu peiner personne, mais je me souviens en détail de cette scène, je me rappelle de mes doutes et des larmes qui roulaient sur mes joues avant que je les écrase de désespoir avec mon petit poing. Je ne sais pas à quel âge j'ai finalement grandi de ça, grandi de ma mère. Tard sans aucun doute. Parfois je me demande si les choses n'auraient pas été plus faciles pour moi si on m'avait scolarisée tôt. Quand je vois mes filles, leur appétence pour l'école et leur aisance à se faire des amis je me dis que oui, ça m'aurait peut-être fait grandir un peu plus vite, un peu moins douloureusement.

Quand j'étais petite j'adorais dessiner, peindre, jouer à la pâte à modeler, aux playmobils et aux "gens les plus riches du monde", un jeu inventé par mon frère jumeau. Mais par dessus tout ce que j'aimais c'était ma poupée, mon baigneur que j'emmenais partout avec moi, au parc, dans les magasins, à la messe. Souvent le soir je le serrais contre moi en souhaitant fort fort fort qu'il se transforme en bébé durant la nuit. A l'époque je voulais huit enfants, j'avais même choisi des prénoms, il y avait William, Marie-Alice, Georgina et Chérie. J'ai oublié les autres, ils étaient écrits sur l'un des quinze cahiers que j'ai noircis de 7 à 21 ans et qui ont fini à la poubelle un jour de crise, un jour de dispute, avec les lambeaux d'un mariage qui se terminait. Dommage. Ou pas d'ailleurs. La tempête qui balaie tout, il vaut mieux faire la paix avec elle et recommencer sur de meilleures bases.

Quand j'étais petite j'adorais nos vacances en Slovaquie, les tonnes de glaces qu'on s'enfilait pour cinquante centimes, le ruisseau glacé, les saucisses qu'on grillait en fin de journée, les randonnées qui nous faisaient râler mais dont on garde un si merveilleux souvenirs. On se faisait parfois rattraper par une pluie d'été et on dévalait la vallée en tenant par dessus nos têtes ce qu'on appelait des nénuphars géants, la rhubarbe des marées (petasis officinalis de son petit nom). C'était toujours dur de repartir, on pleurait beaucoup tandis que mon père attachait les valises sur la galerie de la Volvo.

Quand j'étais petite je ne dormais pas très bien, j'observais les lumières et les ombres depuis mon lit. Un jour je suis allée visitée une caserne de pompiers avec l'école. J'avais quoi, huit ou neuf ans ? Ils diffusaient un film dans une salle, une histoire d'incendie dans un hôpital, avec de la fumée et des morts partout. J'en ai fait des cauchemars pendant des années. Je me réveillais bouffie d'angoisse, en rentrant de vacances j'étais persuadée qu'on allait retrouver notre immeuble brûlé. La nuit je réveillais parfois ma mère discrètement, j'enviais mon petit frère qui cododotait encore.

Quand j'étais petite j'étais amoureuse de Jairo, oui le chanteur des Jardins du ciel (à la même époque ma soeur était amoureuse de Dave, donc camembert). Et puis il s'est marié, avec une fille au même prénom que moi d'ailleurs. J'étais désespoir. En cherchant des infos sur lui il y a quelques semaines, j'ai appris qu'il était argentin. Comme mon amoureux. C'est drôle non ? Avec lui j'ai refait ma vie, j'ai eu un petit garçon que je n'ai pas appelé William, j'ai arrêté d'acheter des livres pour remplir de manière compulsive le vide des murs et de mon âme et j'ai appris à dormir sans avoir peur des incendies. Les Jardins du ciel me décochent toujours un sourire, je repense avec beaucoup de tendresse à cette petite fille blonde, sensible et espiègle qui est restée au fond de moi. Je lui ai promis de cultiver l'espièglerie que j'ai étouffée pendant 35 ans.

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N
Je viens de faire le tour de ton blog que je trouve magnifique !! bravo !
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J
Magnifique texte, et si je peux me permettre j'aimerais dire quelques petites choses:<br /> &quot;Je passais mon temps fourrée dans les livres. Toujours perchée sur un bout de canapé, un coin de lit ou un transat avec un bouquin qui sentait le vieux papier déniché à Emmaüs lors d'une virée dominicale en famille. Emmaüs, le Furet du Nord, les collections abandonnées des presbytères sur les pavés des braderies du Nord, c'était les principales sources d'alimentation des bibliothèques qui tapissaient le moindre recoin de notre appartement, jusqu'au plafond et jusqu'aux toilettes.<br /> Quand j'étais petite j'adorais apprendre mais je n'aimais pas la société des autres enfants. Leur présence m'incommodait souvent, elle me faisait peur, je rentrais dans ma coquille, me contentant de l'amitié fidèle d'une copine et de l'inaltérable lien qui existait alors entre mon frère jumeau et moi.&quot;. A travers ces mots, j'ai l'impression de me découvrir, moi qui pourrais passer des heures dans un rayon de bouquin, moi qui ne peux pas sortir du coin livre d'Emmaüs sans achat (c'est pour la bonne cause est l'argument que j'utilise encore et toujours à l'égard de mes parents), j'accumule tous ces livres dans ma petite chambre, entassés tellement il y en a. Je ne sais pas si la société des enfants a changé mais c'est à croire que je suis mal tombée, les amis, les miens, les vrais? se comptent sur quelques doigts seulement d'une de mes mains. La foule, les rassemblements, les grands groupes du lycée ne m’intéressent pas, j'aurais tendance à y préférer les livres. Dans ces premières lignes j'ai su me retrouvé et le texte tout entier m'a captivé.
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C
Je viens de faire le tour de ton blog que je trouve magnifique !! bravo !
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C
Très beau texte. :)
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