Bouffie d'orgueil
Elle s'est glissée dans son costume de collégienne comme on enfilerait une paire de souliers confectionnés sur mesure : sans heurts, sans bobos, sans ampoules au talon et sans petits sparadraps enroulés autour des orteils.
Le matin elle se réveille souvent avant nous. Comme lorsqu'elle était petite, je suis parfois réveillée par le bruit des céréales qui tombent dans le bol. Ou par le ronron du micro-ondes dans lequel elle sait désormais réchauffer son chocolat.
Je n'ai besoin de rien lui dire. Ni de se lever, ni de faire ses devoirs, ni de ranger son sac de sport, ni de se coucher tôt les veilles de collège. Elle prépare ses vêtements la veille, se sert dans l'armoire à goûter, boucle son sac, me rappelle qu'il lui faut un sandwich pour le lendemain, m'envoie un sms quand elle a fini les cours, met son iPad à charger quand elle rentre du collège, se lave les dents après le dîner et vient nous embrasser avant d'aller se coucher de bonne heure. Tout cela sans qu'on ait besoin de dire un seul mot.
Elle me rejoint parfois sur le balcon pendant que j'étends le linge ou dans la cuisine pendant que je prépare le repas pour me réciter les chiffres de 1 à 10, en chinois, avec force gestes pour me décrire en même temps leur calligraphie. Et moi oui je rigole en mon for intérieur de la voir si volubile et si heureuse d'apprendre.
Ou elle interrompt ma lecture pour me faire signer son carnet fleuri de bonnes notes. Elle s'amuse de la nullité de ses profs avec les tablettes, "tu comprends, nous on maîtrise tellement mieux, même Salomon pourrait leur donner des cours".
Elle me raconte les locaux, le grand parc et les tables pour pique-niquer, la salle du BDI, les chaussures et le vernis de sa prof d'anglais (aussi observatrice que sa mère, ahem). J'admire sa capacité à se fondre sans problème dans un nouvel environnement et ce don naturel à se faire de nouveaux amis partout où elle va (pas du tout sa mère au même âge sur ce coup).
A la réunion des sixièmes les professeurs nous ont demandé de veiller encore sur nos petits futurs ados : surveiller s'ils ont bien compris le système de classeur unique, vérifier les trousses, garder un oeil sur leur manière de prendre soin des tablettes, contrôler les agendas, penser au bonnet de bain pour la piscine du mercredi, s'assurer que le passe de la grille de l'école ainsi la petite clé du casier attribué à chaque élève soient toujours en sécurité.
Mais avec elle, aucune de ces recommandations n'est nécessaire. Elle évolue dans sa vie comme une fleur qui grandirait exactement là où elle doit être, avec la quantité de soleil et de pluie nécessaires. Heureuse, lumineuse, paisible, grande et fière.
Fière je suis, moi aussi.