La prof : chocolat mais pas désespérée
Parfois j'aimerais troquer mes polycopiés et mes bouquins contre une pelleteuse et une grue avant d'aller en cours. Pour soulever cette masse figée, inerte, étanche, lourde et momifiée qui somnole dans une torpeur étrangement pétrie d'orgueil.
La masse c'est l'étudiant en face de moi. Le jeune pas encore sorti des limbes de l'adolescence et qui joue à l'adulte quand ça l'arrange. Le quasi-écolier pour lequel prendre des notes est une épreuve insoutenable, lire un livre en une année fait partie de domaine de la science-fiction et l'idée de ne faire "que" deux pauses en 4 h relève de la plus profonde injustice jamais infligée au corps estudiantin.
L'étudiant est en revanche passé maître dans l'art de manier les excuses bidons. Et j'en entends depuis un mois (cf La journaliste devient prof)
Pour ne pas écrire "vous comprenez Madame, ça donne mal à la main".
Pour ne pas lire "j'ai jamais lu de livre, je vais pas commencer maintenant !".
Pour finir plus tôt "C'est l'anniversaire de Marjorie, on peut acheter un gâteau et souffler les bougies pendant la dernière heure ?" (non je ne suis pas instit en maternelle).
Pour rallonger la pause "10 minutes ça suffit pas pour rouler une cigarette et la fumer. Vous pouvez pas comprendre, vous fumez pas".
Pour se faire passer pour une victime "On est ooooooover débordés Madame, on est des commerciaux nous Maaadaaame".
Ah oui : l'étudiant a aussi la fichue manie de prendre le melon (mais énooorme le melon) dès qu'il a bossé quelques semaines en entreprise.
La littérature, la culture générale, les grands débats de société ? Ca leur importe peu. De toute manière ils n'ont pas le temps. PAS LE TEMPS, vous comprenez ? Pas même pour regarder une émission de télé ou revoir un film en rapport avec les thématiques étudiées cette année.
La culture G ça passerait à la rigueur si c'était ingérable en comprimés. Une petite pilule pour Voltaire, une petite pilule pour Rabelais, une petite pilule pour Pierre Desproges (même Desproges ils aiment pas), une petite pilule pour Bergson, une petite pilule pour Coluche, une petite pilule pour Jacques Tati (c'est qui ça ? c'est vieuuuuuuux !!!) et le tour est joué. Je grossis le trait, mais à peine.
Désespérant ?? Presque...
Mais pas tant que ça. Parce qu'en cours ils participent. Ils ont des idées, parfois maladroites, parfois à côté de la plaque. Mais (pour certains) ils font preuve d'une grande volonté d'apprendre, de se cultiver, de partager. Pas tous (ce serait trop beau) mais rien que pour ça, je me dis que c'est tout de même chouette de les côtoyer. Mais je soupire en me disant qu'avec une grue et une pelleteuse ce serait peut-être plus facile... Peut-être...