Le jour où je suis retournée chez la gynéco
C'était en février dernier. Après quelques semaines de tergiversations personnelles et prétextant un retard de frottis annuel (sympa le sésame frottis, ça marche plutôt pas mal) j'ai appelé la seule gynéco de ville exerçant ici pour prendre un rendez-vous. En vérité je voulais aussi faire un petit bilan post fausse couche et voir où en étaient mes ovaires (et mon endomètre, ma glaire, tout ça tout ça). La gynéco a tout de suite coupé mon élan en me disant qu'elle était désormais la seule à exercer en ville, qu'elle ne prenait plus de nouvelles patientes et que de toute manière "elle ne suivait ni les grossesses ni les désirs de grossesse".
Sic. Et gloups. Néanmoins quelque peu attendrie par mon histoire (et mon frottis de retard, je présume), elle a quand même regardé son carnet et Oh miracle, m'a dégoté un rendez-vous pour le lundi suivant. Trois jours après, donc.
Je suis arrivée au rendez-vous pile à l'heure, mon gros dossier maternité (et fausses couches / GEU) sous le bras. La gynéco a passé la tête dans l’entrebâillement de la salle d'attente et a paru surprise. "Normalement les patientes arrivent toujours en retard pour le premier rendez-vous , elles ont du mal à trouver mon cabinet. Du coup votre vrai rendez-vous c'est dans une demi-heure, je rajoute toujours du temps".
Ah. OK. Il faut croire que je ne suis pas une patiente comme les autres. Les patientes d'ailleurs, parlons en. Celles assises de la salle d'attente, choucroutées à souhait et semelles en crêpe vissées aux pieds, avaient toutes entre 50 et 60 ans. Les murs de la salle d'attente eux-mêmes ne parlaient ni de grossesse ni de contraception comme c'est d'usage dans les cabinets de gynécologie, mais de ménopause, d'ostéropose et autres joyeusetés en "ose". Ambiance ambiance. La toubib m'avait prévenue, mais pendant quelques secondes j'ai quand même eu l'impression d'être tombée dans une faille spatio-temporelle ou de m'être trompée de cabinet.
La gynéco a commencé par remplir une fiche de renseignements me concernant. Puis deux. "Ah oui quand même, ça fait beaucoup de choses" a-t-elle commenté en me jetant un regard par dessus ses lunettes. Elle m'a ensuite examinée, assez brièvement je dois dire, se contentant de me dire que "je n'avais pas de raisons de m'inquiéter pour la disparition du SPM, que c'était plutôt signe que mon corps fonctionnait bien".
D'écho pour vérifier l'état mes entrailles, point. Déception. "L'appareil est en panne depuis six mois et je n'ai pas trouvé utile de le faire réparer", m'a-t-elle expliqué en brandissant le bâtonnet du frottis. Elle en parlait comme s'il s'agissait de la TNT ou d'un sèche-linge. Optionnel, en somme.
Ah. Surprise.
Je me suis rhabillée, un brin interloquée et (contre toute attente) un brin amusée par le comique de la situation. Par un aspect de plus, j'étais bien loin de mon ancienne vie parisienne si aseptisée, médicalisée et angoissante finalement. J'étais dans un vieux cabinet de gynécologie tapissé de moquette, avec un appareil à échographie obsolète et cassé et un vague parfum de lavande dans l'atmosphère. Tout va bien !
Je n'ai même pas sourcillé lorsque, quelques instants après, la gynéco m'a laconiquement tendu par dessus son bureau un papier quadrillé avec une courbe de température.
Une. Courbe. De. Température.
Le truc donc je ne me suis pas servie depuis des lustres. Et elle me la donnait version papier en plus, au lieu de me parler d'une application iPhone comme il en existe des dizaines. Elle m'a aussi donné une ordonnance pour vérifier mon taux de progestérone à un jour bien précis, et c'est tout, au revoir madame, ne vous inquiétez pas trop, tout va bien, revenez me voir avec votre courbe.
Je suis donc repartie avec mon ordonnance, ma courbe et mon frottis bien calé entre deux lames pour le déposer au laboratoire d'en face. Et j'ai pris ma température. Oui madame. Pas tous les jours, je l'avoue. Je ne me suis pas non plus servie de la feuille quadrillée, j'ai téléchargé une appli plus sophistiqué (et plus ludique, soyons honnêtes).
En vérité, je n'étais pas en colère contre la façon dont mon cas avait été traité. J'aurais pu l'être, l'ancienne moi l'aurait probablement été. Je n'étais même pas surprise, déçue ou agacée.
Des amies à qui j'ai raconté le déroulement de cette visite se sont empressées de me conseiller de consulter quelqu'un d'autre, de demander une écho, un traitement, une prise de sang ou que sais-je. Quelque chose d'autres qu'un simple quadrillage à gribouiller de chiffres et de renseignements journaliers plus ou moins intimes.
Mais très honnêtement je n'avais pas envie de retourner dans ce cercle médical.
Plus envie, pour être exacte.
Et plus besoin non plus. La vie m'envoyait une gynéco coiffée à la Jeanne d'Arc, à l'appareil échographique cassé et aux méthodes désuètes ? Et bien soit, c'est qu'il devait en être ainsi. La tempête, le courant, je ne me bats plus contre tout cela. Maintenant je fais la planche et je me laisse porter, car le courant nous porte toujours quelque part.
Je suis retournée la voir cinq ou six semaines après. Un peu plus d'un cycle après, pour être précise. J'y suis allée pour lui montrer ma courbe, que je trouvais un peu bizarre et pas franchement caractéristique. Elle y a quand même vu une ovulation alors qu moi non non non c'est pas possible, normalement je le sens et là rien.
Le soir même, prise d'une envie irrépressible de faire pipi (ahem), j'achetais un test de grossesse à Leclerc (non en vrai j'en ai acheté cinq, on ne se refait pas).
Le test était positif.
Je l'ai appelée le lendemain pour l'en informer et lui demander une ordonnance pour faire un dosage plasmatique des béta HCG. Elle a juste fait "Ahaaa" sans ajouter "je vous avais dit que tout allait bien" ou tout autre phrase du même genre. Elle aurait pu d'ailleurs, moi-même j'ai souri face à la douce incongruité de la situation. Il y a cinq ans, jamais je n'aurais pensé me retrouver dans une telle position. Celle de la femme qui va consulter la gynéco et tombe enceinte le mois suivant.
Mais je n'étais plus surprise de la tournure qu'avait pris ma vie. Juste reconnaissante. Avec une furieuse envie de rire aux éclats.
Quand je suis allée chercher les résultats de la prise de sang, il y avait, derrière le comptoir, une sorte de tableau fait en mosaïque assez sombre. Un seul point était éclairé par une petite lumière en forme de coeur. Un point bleu, juste sous le sein d'une femme assise en tailleur. Un petit point bleu qui brillait dans un coeur de lumière en me souriant.
La secrétaire a sorti les papier.
La prise de sang indiquait 288 mU / mL.
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