Vite, un tournevis, que je démonte le petit vélo dans ta tête
Vous le connaissez ce petit vélo qui se met en route dans la tête et qui pédale, et qui roule, et que rien n'arrête ? Il lui faut presque rien pour démarrer, un détail, un mot, un souvenir, une image.
Et la route défile.
Le petit vélo s'invente des paysages.
Les roues tournent.
Il accélère.
Il s'engage dans des virages escarpés.
Il emprunte des pentes accidentées.
Ce petit vélo mental il est très fort. Il fabrique des idées, il invente des histoires éventuelles, il envisage toutes les possibilités, surtout les pires, il crée des angoisses, il gonfle les peurs au point de les transformer en voile, la voile de mon bateau, qui me fait perdre ma route et qui m'emmène je ne sais où.
Ma fille aînée a aussi un petit vélo dans sa tête. Oh, un tout petit vélo pour le moment. Mais je suis une grande spécialiste des petits vélos. Je les connais. Je sais qu'ils sont perfides. Je sais qu'ils deviennent grands, qu'ils se transforment en machines impitoyables, qu'ils écrasent tout sur leur passage, en virant au passage les principales alliées de ma vie : Sérénité, Joie, Paix, Lumière. Je sais aussi que les petits vélos finissent toujours par devenir incontrôlables et - paradoxalement - qu'ils finissent par prendre le contrôle de ma vie.
Alors le petit vélo dans la tête de ma fille, je le tiens à l'oeil.
Mon Elfette {2} n'est pas une habituée du petit vélo - chanceuse petite fille. Elle observe les événements tels qu'ils sont, elle les vit au présent, elle les déplore, elle se fâche éventuellement (réaction que je trouve plus saine, finalement), elle pose des questions, elle plaint, elle compatit. Elle prie aussi. Mais l'événement reste à sa place. Ensuite elle passe à autre chose.
Pour mon Elfette {1} c'est une autre histoire. Le moindre nuage est, inconsciemment, l'occasion pour elle de sauter sur son petit vélo et de commencer à pédaler très vite, très fort. Je vois bien que certains événements, certaines catastrophes, certaines actualités sont capables de la marquer plus que de raison. Elle imagine des "et si", elle envisage le pire, elle invente des scénarios catastrophes qui nous concernent tous, elle, son petit frère, moi. Elle n'a pas besoin de m'expliquer tout cela en détail, je vois le pli qui creuse son front, les larmes qui tremblent au bout de ses cils, ses narines qui frémissent, ses yeux qui ne sont plus là mais dans son imaginaire. Et surtout cette façon qu'elle a de se renfermer sur son angoisse, sur son chagrin, comme s'il s'agissait d'un oeuf qu'il faut couver !
Alors je dis quoi ? Je dis des choses que j'aurais aimé qu'on me dise quand j'avais neuf ans moi aussi. Parce que j'étais pareille à elle.
Je lui dis : "Pleure les morts. Pleure les drames. Condamne la violence. Prie pour les âmes. Envoie de l'amour à ceux qui sont restés.
Mais
Reste là
Reste présente
Tout va bien
Rien de ce que tu vois dans ta tête nous concernant n'existe.
Rien
CA N'EXISTE PAS
CA N'EST PAS REEL
C'est réel juste dans ta tête
Mais tu sais quoi ?
Tu as le pouvoir de choisir
De casser cette image
Laisse la couler
Laisse la descendre
Rends là à la terre.
Ce qui n'EST PAS ne doit pas te blesser".
La première fois que je lui ai dit ça, elle a pleuré, posé des questions, écouté avec sérieux.
Puis elle a respiré un grand coup
Et elle a souri.
Et puis l'autre jour je l'ai trouvée sur son lit allongée, les bras en croix, les yeux au plafond. Inquiète, je lui ai demandé ce qu'elle faisait (elle avait l'air heureux tout de même !). Elle m'a répondu "je médite". Je lui ai demandé c'était quoi, méditer pour elle. Elle m'a alors expliqué qu'elle "faisait le vide, qu'elle était sur un nuage, dans les nuages, qu'elle était le nuage et qu'il n'y avait rien d'autre qu'elle, les nuages et le soleil". Ca, elle ne le tient pas de moi. J'ignore où elle a entendu ça, mais je suis contente pour elle, parce que visiblement méditer ainsi la détend.
# PS : Petit vélo je te surveille !!
# PSbis : Sur le même sujet : Il ne pleut jamais sur ma tête
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